2006

Contre les mystères de la royauté, la curiosité

por Renato Janine Ribeiro

En 1607, le juriste anglais John Cowell publie un livre destiné à exercer un grand impact sur la lutte que mènent le roi et le Parlement pour délimiter leurs sphères respectives de pouvoir. Cowell est un civiliste, c’est-à-dire, dans un pays marqué par la common law et donc par le droit coutumier, habituel, il appartient à la minorité d’avocats qui se tournent vers le droit romain. Cela établit déjà une différence nette entre lui et l’axe majeur de la tradition juridique de son pays. S’il est difficile de définir en peu de mots la common law, nous le pouvons cependant, c’est par là que nous devons commencer. Il s’agit d’un droit fondé sur la coutume et qui est devenu typique du monde anglosaxon et qui touche aujourd’hui les ex-colonies britanniques, y compris les États-Unis et e Canada – à l’exception, dans ces deux pays, des législations de l’Etat de la Louisiane et de la province du Québec, qui sont comme par hasard d’ ex-colonies françaises. Ainsi, aujourd’hui, la common law a une importance non négligeable dans le monde; mais, à l’avènement de la modernité, il semblait étrange que, presque seul en Europe, le royaume d’Angleterre, attardé, situé géographiquement et économiquement à la périphérie d’un continent en pleine expansion, continue à prendre comme loi ce qui n’était que des coutumes.

En effet, au Moyen Age, l’activité proprement législative était rare en Europe; on disait, plutôt qu’on ne faisait, la loi, pour employer la distinction proposée par Helen Cam entre law-makers modernes et law-finders médiévaux; les organes mêmes dont aujourd’hui nous dirions qu’ils faisaient des lois se recouvraient souvent d’une cape judiciaire, qui leur permettait de prétendre énoncer une loi déjà existante plutôt que d’en créer de nouvelles: on parlait, en Angleterre, de la High Court of Parliament, la Haute Cour du Parlement. Faire une loi se distinguait mal de dite la loi, c’est-à-dire d’appliquer à des cas ou sphères particuliers des principes généraux, dans un mélange de religion chrétienne, de philosophie scolastique et de coutumes anciennes ou même récentes. C’est pourquoi il se produisit une véritable révolution lorsque, les uns après les autres, les grands États européens effectuerent la “Réception”, c’est-à-dire la réception du droit romain dans leurs systèmes juridiques, imposant à ceux-ci la rigueur, la codification, la clarté romaines, bref, des principes qui balayaient les traits – coutumiers – de plus en plus souvent considérés comme des défauts. Et c’est également pourquoi il est bizarre que l’Angleterre, puissance moyenne ou même petite en Europe, ait conservé sa fidélité aux traditions les plus anciennes. Ou, peut-être, cela n’est-il pas bizarre: c’était peut-être le signe que l’île ne tenait pas à se moderniser, pour employer un terme actuel dont l’application à ce cas n’est que légèrement anachronique – car, somme toute, c’est justement parce que les Anglais n’ont pas voulu de la modernité immédiate qui leur venait du continent (la propriété bourgeoise s’émancipant des contraintes féodales en échange de la concentration du pouvoir politique aux mains d’un roi qui, par là, devenait absolu) qu’ils se sont montré capables, deux siècles plus tard, de créer une autre modernité, celle ou la bourgeoisie avait à la fois la libre disposition de ses biens et le contrôle politique de la société.

Le droit coutumier était dit lex non scripta, loi non écrite, mais peut-être serait-il plus adéquat de préciser que la common law de l’époque comme celle de nos jours sont à vrai dite de la loi non signée. Évidemment, une bonne partie de ses jugements était déjà mise par écrit, en particulier dans les Year Books qui, depuis des siècles enregistraient les décisions des trois tribunaux supérieurs du royaume, mais aussi dans des traités et mémoires de juristes illustres, tels Littleton et plus tard Edward Coke. La différence consiste en ce que, tandis que dans le droit romain et dans ses avatars continentaux, la loi vaut par ce qu’ elle a été signée, promulguée par une instance plus ou moins souveraine (généralement le prince, mais éventuellement un sénat ou une assemblée), dans le droit coutumier, le fait qu’elle soit écrite est la conséquence de sa validité et non pas sa cause. Dans le premier cas, la signature confère de l’efficacité au diplôme et le législateur en est donc la cause efficiente, si nous voulons traduire ce processus dans le schéma aristotélicien des quatre causes; dans I’autre, l’écriture enregistre quelque chose dont la validité légale précede l’observation humaine et donc le juge (et par extension le député ou le prince, entendus en certaine mesure comme ceux qui jugent) n’en est la cause que dans une mesure assez faible. Aujourd’hui, dans le monde anglo saxon, presque tout, sinon tout, le droit a déjà été mis par écrit, mais il continue à relever de la common law – ce qui rend clair que la distinction entre le système continental et le système anglais réside plutôt dans les principes qui les régissent que dans la forme par laquelle leur mémoire est conservée. Le fait que la law soit common signifie qu’il existe encore de nos jours un réservoir de possibilités de création légale par le truchement de son interprétation, tâche qui revient aux juges, ce qui tranche avec un droit de souche romaine ou la source du droit est liée à la souveraineté. De toute façon, il est juste de dire qu’un système qui consiste essentiellement à juger favorise davantage le primat des tribunaux et, par là, celui de la jurisprudence, tandis qu’un système qui est régi par la volonté du prince ou de l’ assemblée (quod principi placuit habet vigorem legis, ce que le prince veut a force de loi) stimule la primauté de l’activité législative: d’où une différence essentielle entre les deux traditions.

Cowell était, par formation et par conviction, un défenseur du droit romain. Être civiliste, dans l’Angleterre de son époque, ne veut pas seulement dire étudier le droit légué par les Romains. Cela signifie aussi adopter ses valeurs. Voici pourquoi dans l’Interpreter, qui ressemble à un dictionnaire, Cowell cherche à définir les termes principaux du droit selon les préceptes qu’il considere latins. En réalité, le fait de les définir implique déjà une relative option romaniste. Cette remarque peut paraître bizarre; pourquoi n’y aurait-il pas de définitions distinctes des mêmes concepts pour les deux familles de pensée juridique? Pourquoi ne pas les proposer à la discussion, les confron ter? Or, on peut déjà inférer de ce que nous avons dit que la common law, par principe, considère comme essentiel de garder un certain montant d’imprécision. Dans la mesure même où ses principes sont génériques et où il appartient aux tribunaux et au Rex in Parliamento, en qualité de plus haut tribunal du royaume, de décider de leur application aux sphères les plus diverses du droit, une définition précise imposerait une lourde contrainte à ce qui tire sa vie justement de sa référence variable, voire contradictoire, à la tradition. Car la tradition, l’immémorial n’ont pas de contenus précis, ce sont des mémoires activées de formes diverses, selon les exigences du présent; il suffit de rappeler le rôle décisif que joua sir Edward Coke, vers la fin du XVIe siècle et le début du XVIIe, dans l’adéquation du vieux droit aux exigences de la nouvelle économie. Donald Wagner[1] a étudié cette question dans un célebre article, repris d’ ailleurs par Christopher Hill[2]; rappelons seulement que le grand juriste a eu le mérite, entre autres, de “prouver”que la Magna Charta de 1215 déjà interdisait les monopoles économiques; chose assez improbable puisque, dans un contexte presque impensable en cette lointaine époque médiévale, mais qui amorça l’utilisation moderne de précédents plus anciens et la construction d’une mémoire judiciaire qui, si elle est choquante pour l’historien moderne (voir la lecture qu’en fait J.G.A. Pocock, par exemple), a pourtant été déterminante dans l’élaboration d’un droit qui accueillait le capitalisme sans pour cela devoir éteindre les vieilles juridictions plus diffuses et concentrer tout le pouvoir autour du roi.

Voici, avant de revenir à Cowell, le sens fort du conflit entre la common law et les civilistes en Angleterre, au passage du XVIe au XVIIe siècles. Pendant assez longtemps, on considérait que le pays aurait risqué de se voir soumis au droit romain, qui associait à la netteté, l’élégance et la clarté de ses formules une définition précise du pouvoir de légiférer, attribué au monarque seul ou avec l’aval presque symbolique d’assemblées qui le lui refusaient difficilement. Ainsi le droit romain était-il plus apte que le droit coutumier à expliquer les nouvelles réalités économiques, en particulier les contrats, fondement légal du capitalisme en expansion. D’autre part, pour arriver à ce droit qui validait les contrats dans l’activité productive, il a fallu, partout en Europe, dissoudre les institutions traditionnelles, assemblées ou tribunaux, qui disaient auparavant le droit; si celui-ci était confus, erratique, il fallut partout, pour obtenir que le droit devint précis, sur, le faire dépendre de la volonté royale, seule désormais accréditée à légiférer. Et cela est si net que le souverain anglais qui propose de mettre fin au droit confus, de supprimer les tribunaux de juridictions qui faisaient la compétition entre eux, est le même roi qui soutient que le prince n’est pas sub lege, sous la tutelle de la loi, mais que c’est lui qui fait la loi, et cela en raison de son droit divin au trône: je parle de Jacques Ier, monarque cultivé, premier à formuler de façon moderne le “droit divin des rois”, et qui gouvernait l’Angleterre quand le Dr Cowell a publié son livre. Tel est le dilemme d’un monde ou le capitalisme cherche sa voie face aux traditions féodales et seigneuriales. Pour avoir le droit des contrats, il faut mettre fin aux institutions représentatives, aux institutions qui servaient de médiatrices entre le monarque et le sujet. L’absolutisme est, plus ou moins fort, le prix qu’à la fin du Moyen Age on paie pour l’avancement du capitalisme. Un jour le capitalisme, déjà puissant, réglera ses comptes aux rois et réclamera le pouvoir que des siècles plus tôt lui-même lui avait cédé. Mais vers la Renaissance, ce même capitalisme, encore jeune et faible, exige la destruction de ce qui, au Moyen Age, limitait la concentration du pouvoir entre les mains du roi. Et cela se passe presque partout – sauf en Angleterre. Les Anglais ont, à l’époque, la conscience que leurs libertés immémoriales sont menacées. Partout en Europe, dit la Chambre des communes lors d’une plainte adressée à Jacques au début de son règne, on voit que les franchises des sujets et les assemblées qui les représentent perdent de l’importance, tandis que le pouvoir des rois augmente. Le processus a été celui, comme je l’ ai indiqué ci-dessus, par lequel est arrivée la modernisation qui a changé le régime de la propriété et celui de la production. Et ce n’est pas étonnant que les Anglais aient craint, dans ce cadre, de perdre leur Parlement, leur système de jugement, avec un jury, leur relatif autogouvernement local: des institutions plus ou moins analogues s’éteignaient partout en Europe continentale. Toute une historiographie va, dans les siècles qui suivent, montrer comment le droit romain a presque triomphé dans l’île, en même temps que les tentatives des rois de prendre le pouvoir absolu, entre le début du XVIe et la fin du XVIIe siècles. En vérité, si on examine avec plus d’ éloignement ce qui s’est effectivement passé, les historiens les plus récents du droit anglais, comme Sir William Holdsworth en écrivant sa classique History of English Law, au XXe siècle[3] concluent qu’il n’y a jamais eu de réelle menace de destruction de la common law. Pourquoi? C’est une question qui nous dépasse ici; mais au plus, il y a eu un essai de constitution d’instances de droit romain parallèles à celles du droit coutumier. Néanmoins, de toute façon, les contemporains ont adopté une logique, une cohérence qui articulait les efforts du pouvoir royal pour se renforcer et ils craignaient que cela n’entraîne le remplacement des coutumes, en tant que droit, par un système légal octroyé. Or, la prouesse d’Edward Coke et de nombreux autres juges et parlementaires de ce temps-là fut de montrer, “en actualisant” les effets de précédents dont la réalité historique était assez douteuse, que le droit des contrats en économie était mieux assuré par la représentation parlementaire et par les tribunaux traditionnels que par la concentration dans la personne du roi de tous les pouvoirs alors dispersés dans le corps politique

On n’insistera jamais assez sur l’importance de ce choix, qui a du alors sembler si étrange, un indice en plus, dirait un possible modernisateur continental de l’époque – un Louis XIV, un Colbert -, du lien tenace de l’Angleterre à son retard. Mais par ce biais, l’Angleterre a pu garantir le capitalisme sans avoir à renoncer au self government, sans devoir accepter une royauté phagocytée. Enfin, le capitalisme anglais fut le seul capitalisme important sans absolutisme, plus encore: créé contre I’absolutisme. Cela en fait le plus important des capitalismes, même si, en l’absence du mot et du concept, on ne pouvait pas le comprendre à l’époque. Ce modèle, inconnu au début du XVIIe siècle, réalisait à la fin du XVIIIe siècle la révolution industrielle (même si le mot n’est employé qu’au cours des années 1830), tandis que la voie la plus facile, la plus évidente, celle de l’alliance entre capitalistes et royauté, particulièrement dans la France du Roi-Soleil, débouchait sur des impasses majeures, rendant donc possible, entre autres effets, la primauté anglaise sur le reste du monde. Encore aujourd’hui, il reste vrai que les destinées distinctes du capitalisme dans la sphère la plus développée du monde anglo-saxon et dans les domaines d’influence de l’Europe continentale doivent beaucoup à ces choix de la fin de la Renaissance: le rôle réciproque de l’État et de la société sera différent selon la voie tracée, qu’elle soit anglaise, qu’elle soit franco-allemande.

Nous avons ainsi plus ou moins tracé le contexte dans lequel John Cowell se décide à parler de la “prérogative royale”, parmi plusieurs autres topiques qu’il aborde dans son Interpreter. II soutient que “le roi de l’Angleterre est un roi absolu” et que le Parlement n’est qu’un organe consultatif, dans lequel on parle (parler leur ment, dire ce qu’on a dans l’esprit, c’est l’étymologie qu’on imagine alors à cette institution) mais qui ne décide rien. C’est le cœur de son œuvre, qui mettra en fureur les communes, la Chambre se mobilisant pour le punir pour offense à leurs “privilèges”. Mais le roi Jacques adapte une solution très sage, qui prend les communes de court: il fait saisir le livre par une proclamation fondée exactement sur la prérogative royale. Le juriste, affirme le roi, s’est mêlé de la question du pouvoir royal “plus loin qu’il n’était possible à un sujet”: son œuvre doit être détruite et, en effet, elle l’est par le bourreau, pour “s’être mêlée des mystères de la royauté”. Ainsi, c’est exactement en renchérissant sur l’argument de Cowell que le monarque réprime ses idées. Le Parlement, c’est évident, aurait préféré une punition du civiliste qui mette en évidence les pouvoirs des chambres en matière législative, leur place dans la sphère constitutionnelle anglaise; d’une certaine manière, le point commun entre Cowell et la Chambre des communes consiste dans le fait qu’ils prétendent tous les deux, bien qu’en directions opposées, donner une définition du poids relatif des institutions dans la vie politique anglaise. Jacques Ier effectue cette définition, il est vrai, mais sous une forme moins claire que Cowell. En proclamant que les points essentiels qui se réfèrent au gouvernement et à l’Etat constituem des “mystères”, il réduit la portée des communes et, dans la pratique, il contresigne les thèses de Cowell sur l’énorme supériorité du roi face aux chambres et, même, à la loi. (Dans la même décennie eut lieu un célebre affrontement entre Jacques et Coke, alors président d’un des trois tribunaux supérieurs du royaume: quand le juriste osa dire que le roi était au-dessus de tous les autres hommes mais qu’il se trouvait sub lege, Jacques Ier eut un acces de furie et l’humilia; peu après, le roi destitua son juge le plus célebre et de cette manière l’amena à faire une carrière de député, nous dirions aujourd’hui, d'”opposition”. Être au-dessus de la loi, en tant que son auteur, était l’une des prétentions du premier Stuart – et de ses trois successeurs.) Mais il y a au moins une différence entre l’affirmation que le monarque est absolu et l’idée que la royauté se fonde sur des mystères. L’absolutisme est une doctrine de la souveraineté. Il théorise la politique par le biais d’un discours, par définition, public. Mais une royauté dite mystérieuse échappe, par principe, au discours et à la sphère publique. Nous pouvons voir l’absolutisme justifié par le droit divin, comme le soutiendront Louis XIV et Bossuet, mais la nuance que nous indiquons est significative.

Les mystères de la royauté – arcana imperii, dira le procureur général de Charles Ier – sont assimilés par le philosophe Francis Bacon, ministre de Jacques Ier, au voile qui, au tabernacle, empêchait l’accès du peuple au Saint des Saints. Aucun sujet, aucun particulier mais également aucun corps constitué n’ose envahir cet espace sacré. Évidemment, il existait des doctrines de la royauté sacrée depuis l’Antiquité, et la conquête de l’Asie par Alexandre le Grand introduisit dans le monde hellénique, habitué à avoir des rois qui gouvernaient des hommes, la figure démesurée de celui qui s’affirme dieu et prétend rabaisser ses sujets au rang d’esclaves ou d’animaux; la divinisation du pouvoir se poursuivra, comme l’attestent, à Rome, les apothéoses des empereurs, parmi lesquels quelques-uns furent inclus dans le Panthéon déjà de leur vivant. Mais le christianisme étant un monothéisme et faisant que le passage entre l’humain et le divin transite par la Passion du Christ, le Dieu incarné, ne permet pas qu’un homme se dise dieu; il est certain qu’il a mis en marche, à sa maniere, une imitatio Christi, une mimésis de Dieu le Fils par les rois, comme l’a étudiée Ernst Kantorowicz dans un livre fondamental[4], mais rien de cela ne se compare aux déclarations que, depuis 1598, Jacques, alors uniquement roi d’Ecosse, est le premier à énoncer sur le droit divin de la royauté: les rois ne sont pas seulement des vicaires ou représentants de Dieu sur la Terre, mais Dieu même les appelle dieux (en référence au Psaume 82); même la méchanceté d’un monarque n’autorise pas sa destitution, parce que, nous dit le Livre I de Samuel (chapitre 8), les Juifs surent, par leur dernier juge et par Dieu même, quels pouvoirs aurait le roi qu’ils appelaient de leurs vœux, et ils accepterent – plus que cela, ils voulurent – être gouvernés par quelqu’un qui prendrait leurs filles pour être ses parfumeuses (lisons: ses concubines) et leurs fils pour être ses serviteurs – bref, par un roi qui leur refuserait droits et respect, et les traiterait selon son caprice. Ainsi donc la conviction si répandue au Moyen Age qu’un monarque n’aurait plus le droit de régner s’il négligeait les idéaux du buon governo ou du rex justus et bonus perd tout son sens. Ce discours de Jacques Ier a certes eu des précurseurs, mais ce fut le premier à exprimer sous une forme durable en Occident le droit divin du roi, inaugurant ainsi une période de quelques siècles où les rois pourraient dire qu’ils régnaient “par la grâce de Dieu”. Or, cela établit, entre eux et leurs sujets, une coupure radicale; il n’est pas fortuit que cette distance ressemble à celle du tabernacle et que celui qui, même par inattention et sans mauvaise intention, viole le tabou de la séparation entre l’humain et le sacré doive subir les conséquences d’un acte qui passe pour un sacrilège. Nous disions que Coke alla vers l’opposition, mais cela doit être bien entendu; car faire de l’opposition serait déjà un autre sacrilège: critiquer la politique du roi, encore qu’indirectement, est une chose difficile et dangereuse (le topos est: le monarque est bon, mais ses ministres sont de mauvais conseillers), et pourrait passer pour une profanation du territoire réservé au Très-Haut.

Allons plus loin. II serait faux de penser que la thèse du mystère royal ne constitue qu’un élément de la doctrine du pouvoir fort, une espèce d’ étiquette apposée sur une théorie générique du pouvoir absolu, éventuellement indépendante du secret sacré dont nous parlons. En vérité, ce mystère est le cœur même de la royauté revigorée. Autrement dit, le secret dont s’entoure le gouvernement constitue le principal privilège du roi post-médiéval. II ne s’agit pas d’une précaution additionnelle aux procédés alors employés pour gouverner, d’une précaution qui releverait de la prudence; l’essence même du pouvoir royal devient de se retirer, de se cloîtrer dans le monde sacré. Bien qu’une doctrine comme celle de la ragione di Stato, la raison d’État, ne se confonde pas avec celle des mysteries of kingship, selon l’emphase que l’une donne à la raison et l’autre confère aux mystères, c’est un fait que les deux partagent ce découpage net entre celui qui détient la raison et/ou le mystère – le roi – et ceux qui sont privés de la connaissance, peu important que celle-ci procède des facultés rationnelles ou d’un acces direct, probablement révélé, au sacré.

Un tel découpage renvoie au gouvernement paternel. Le roi est assimilé, maintes fois, à un père. Le droit médiéval a fait un pas décisif en concevant la relation entre le prince (ou, au début, l’évêque et le pape) et son État (auparavant, le diocese, ou l’Église) parle modèle du mariage. Si la respublica, le diocese ou l’Église entière est l’épouse, cela détermine que son mari, que ce soit un roi, un évêque ou un pape, n’est pas le propriétaire, mais seulement le tuteur, de ses biens. Ce principe a été l’une des bases permettant d’empêcher que le patrimoine public ne devienne la propriété de celui qui, de façon transitoire, l’administre. Ce procédé a eu un résultat notable, car ce qui est public est de ce fait protégé contre la personne qui gouverne, fondant ainsi une des bases de la distinction entre l’État, qui demeure, et le gouvernement, qui est transitoire. Mais l’image employée mérite une note, car elle présume que la femme est minor perpetua, ne s’éleve jamais à la majorité et a donc toujours besoin de tutelle; et ce qui vaut pour elle vaut pour quiconque entre dans une relation de pouvoir sans avoir, lui-même, le pouvoir – pour quiconque est un subditus, un sujet, celui que l’on met sous le pouvoir, celui à qui l’on donne des ordres. Enfin si, de cette manière, le patrimoine collectif était préservé contre le gouvernant du moment, la liberté n’a pas connu de protection analogue. Pour préserver le bien commun, entendu avant tout comme bien, la liberté de ceux qui sont sub a peut-être été sacrifiée – je pense à l’emploi que, dans son livre La Mésentente, Jacques Rancière fait de l’idée de tort[5] – parce que l’on entend que la liberté en son cœur cause un tort à quelqu’un, peut-être parce que la liberté fait mal[6]. C’est comme si, pour employer le langage actuel, il était question de préserver les biens et se protéger du mal: défendre le patrimoine, celui évidemment qui nous arrive du père, des biens qui transmettent le patronymique, le nom paternel, et pour cela, dans le même mouvement, éviter ce qui peut advenir de mal. Le bien est ce qui vient du passé, c’est l’attendu, tandis que la liberté, c’est ce qui s’ouvre sur l’avenir, l’inattendu, l’imprévu, le danger.

Or, des thèses médiévales au sujet du mariage qui fonderait symboliquement le poids réciproque du gouvernant et du gouverné, de l’homme sachant que la femme est perpétuellement ignorante et qu’il doit donc la protéger (tandis que, pour la même raison, elle doit également être protégée de lui, le pouvoir masculin trouvant sa limite dans le fait que légalement il est toujours de l’ordre de la tutelle), ce qui reste, pour Jacques Ier, c’est ce décalage radical entre celui qui commande et celui qui obéit. Cette paire d’opposés peut se dédoubler en d’autres: homme/femme, commandement/obéissance, raison/ ignorance, connaissance/innocence, gouvernant/sujet, sacré/humain. Ce qui compte, c’est l’alternance de la figure du plein, dans laquelle on peut inscrire le mal, et de celle du vide, qui bénéficie de la présomption d’innocence, mais ne peut rien entreprendre. Parce que le grand changement qu’apporte le premier Stuart à régner en Angleterre, face au legs médiéval, porte sur deux points. Le premier est que le roi commence à avoir un plenum de pouvoirs sans comparaison avec le Moyen Age; en général, ses prédécesseurs, qui avaient essayé d’ avoir un pouvoir analogue, avaient échoué piteusement (par exemple, Richard II, qui disait porter les lois en son cour, qui prétendait que son placere, sa volonté, était une cause suffisante pour légiférer). Le second est que, tandis que le Moyen Age subordonnait la légitimité du roi à ce qu’il soit justus, bonus, c’est-à-dire à ce qu’il gouverne bien, selon la morale léguée par la religion, le roi Jacques Ier introduisait la divinisation du roi à partir du modèle des figures bibliques des méchants rois, ceux du Psaume 82 et du Livre I de Samuel. Si ce déplacement du roi bon au méchant passe généralement inaperçu, il se comprend néanmoins assez facilement. Si la légitimité royale a pour condition une qualité religieuse, il sera toujours possible de destituer un roi, des qu’on commence parle déconstituer au niveau du langage. Le langage sera donc le grand champ de bataille politique: sous la condition préalable de configurer le roi avec qui nous ne sommes pas d’ accord comme un tyran, de là à sa déposition la voie sera facile. Donc, si nous voulons assurer la stabilité de la monarchie, et cela dans un monde duquel a disparu le consensus auquel prétendait une universitas christiana, dès lors que l’homogénéité de la chrétienté a été fracturée par la guerre de Cent Ans et scindée de manière irréversible par la Réforme, il faut que le roi soit à l’abri de toute destitution langagière. Le fils de Mary Stuart ne prétend pas, bien entendu, exalter le méchant roi. Ce qu’il veut, c’est tout simplement nier qu’il y ait une quelconque juridiction humaine capable de juger un roi. Les mots qu’il cite de l’Ancien Testament sont une critique véhémente que Dieu adresse aux monarques (“Vous agissez mal”, dit-il dans le Psaume 82), mais explicitent – ou impliquent – que le jugement sur ceux-ci n’appartient qu’au Tout-Puissant.

Même avec cette importante réserve, c’est un fait que la plénitude attribuée au roi porte potentiellement dans son sein la méchanceté. Le plenum amène comme possibilité le mal, dans la mesure ou l’innocence se loge là ou il y a le vide, mais un vide de principe, qui ne peut être comblé, sinon, paradoxalement, en abritant un mal qui vient du dehors, un mal que l’on ne peut pas concevoir comme naissant là même ou il produit ses effets.

Cependant, la lecture que je viens de proposer comporte un petit anachronisme. En vérité, j’ai infléchi la relation que Jacques ler établissait entre les termes de plein et de mal. Pour le premier roi Stuart, le mal permettait d’ établir le plein. C’était en excluant la thématique du bon gouvernement, c’est-à-dire en écartant le bien en tant que condition du pouvoir légitime, ou bien en déclarant tant le mal que le bien neutres par rapport au fondement du pouvoir, ou encare en acceptant qu’un pouvoir puisse être méchant sans par là cesser d’être légitime, que le roi d’Ecosse et d’Angleterre a provoqué ce passage, cette déduction. Si le mal était indifférent, comme le bien, dans la fondation du pouvoir légitime, cela signifiait que de façon opérationnelle Ie mal fondait le bien. Disons que, structurellement, ni le bien ni le mal ne fondent le pouvoir, mais que, de façon opérationnelle, c’est le mal qui le fonde, dans l’exacte mesure où il exclut la fondation antérieure du pouvoir légitime sur le bien – si réussie au Haut Moyen Age. Or, ce que j’ai proposé ci-dessus, c’est une inflexion de ce schéma. Au lieu de considérer que le mal fonde le plein, j’ai suggéré que, ou bien le plein établit le mal, ou qu’ils viennent ensemble, dessinant l’idée d’un pouvoir fort, souverain, qui d’une certaine façon englobe bien et mal et par cela même s’oppose à une innocence qui se constitue en tant que carence. L’innocent est celui à qui il manque quelque chose et qui donc, ignorant des choses, doit être conduit par autrui. Des Saints Innocents qui sont morts pour Jésus aux figures les plus modernes de l’innocence, il reste cette association de la pauvreté d’esprit, du manque de raison et de volonté et en même temps de quelque chose qui est mis en valeur: paradoxalement, quelque chose qui reçoit une connotation positive, en tant que valeur, justement parce qu’elle est saisie par le manque, c’est-à-dire parle négatif. L’innocent est un non: il n’a pas de raison, de volonté, d’histoire, d’autonomie; et c’est justement pourquoi il peut être estimé positivement. C’est comme si la positivité de la valeur qu’on lui attribue compensait la négativité de son être. Mais le méchant est celui qui est dans la plénitude. Ayant raison, volonté, histoire, capacité de décision, il ne peut pas être mis sous tutelle. Ce n’est pas par hasard que l’énonciation de leur pouvoir, “Vous êtes dieux’: dans la phrase que Dieu adresse à ceux que Jacques Ier entend être rois (toujours dans le Psaume 82), enclenche immédiatement une censure divine: vous êtes dieux et cependant vous agissez mal, vous péchez, vous serez donc punis (mais seulement par Dieu).

Il y a quelque chose de prométhéen dans cette figure de l’homme plein et méchant, de l’homme plein et prédestiné au châtiment dans l’au-delà: comme si ne pouvaient bénéficier du salut que les humains qui acceptent leur état de carence, les sujets. Le roi – mais, encore une fois, peut-être s’agit-il ici d’une inflexion de nos jours qui renforce[7] quelque chose qui, du temps du roi Jacques, aurait été comprise d’une autre manière – étant celui qui connaît, se trouve en dehors de l’innocence et est introduit par la faute. C’ est son secret, l’ accès aux mystères de l’État mais, par là même, c’est sa faute. La connaissance des choses du pouvoir, plus ou moins comme la science du bien et du mal prodiguée par un certain arbre interdit dans le paradis terrestre, amène avec elle une certaine malédiction. L’homme qui s’émancipe de la tutelle divine, afin de connaître pour son propre compte le bien et le mal, commet le péché qui s’appelle originel: non pas seulement le premier péché, mais celui qui est à l’origine des péchés, leur fondement et, encore davantage, ce qui est à l’origine en général, c’est-à-dire à l’origine de l’humanité.

La seule manière de rompre avec une figure de gouvernant qui suit une sorte de programme, réglé à l’avance par les lois du bien chrétien, exige donc d’établir une nouvelle relation avec le mal, de l’admettre. Un pacte avec le mal semble être ainsi la condition – faustienne – pour émanciper l’action du gouvernant de ses contraintes anciennes, morales et médiévales. Ce n’est que lorsque le roi pourra être méchant, sans par là cesser d’être roi, que sa volonté triomphera vraiment[8]: c’est-à-dire de façon opérationnelle, ce qui fait vaincre sa volonté, ce qui l’émancipe, le faisant passer de roi à souverain, c’est le mal en tant que possibilité nouvelle (ce qui rappelle, cela va de soi, Machiavel et son Prince, qui doit apprendre à pouvoir être méchant[9]). Mais remarquons que cette nouvelle chance du roi dépend, elle aussi, d’un découpage tres clair et insurmontable, celui qui, en même temps qu’il institue la faute dans l’horizon du roi, exclut sa culpabilisation par les hommes. Le roi est dit peut-être méchant (donc, il est dit aussi méchant) et immédiatement on ajoute qu’il ne peut pas être puni par les hommes. Aux hommes il est interdit de déduire les conséquences de la méchanceté du roi. Celle-ci est proclamée, mais la connaître (dans le sens juridique: l’instruire pénalement) est interdit aux hommes, c’est-à dire aux sujets. C’est parce que dans le genre humain, on a effectué un découpage distinguant les sujets, qui coïncident avec le concept d’hommes, et les rois, élevés au rang de dieux. Sans exagérer, il est question de dire que le pouvoir devient inhumain, dans la mesure ou il est exercé par des êtres qui, étant divinisés, ont perdu l’humanité et que l’humanité commence à être synonyme de sujétion, c’est-à-dire d’une position subalterne dans les relations de pouvoir. Le pouvoir partage, en ses deux pointes, le simplement humain du divin.

Une série de divisions assez marquées s’établit de la sorte ou, dans certains cas, se déplace sensiblement. Auparavant, il y avait une séparation entre le bien et le mal, entre la royauté juste et la tyrannie, et le roi fonctionnait, à mi-chemin entre l’homme et Dieu, comme le Christ[10]; cette topologie se modifie. Le roi occupe la place de Dieu, par là il quitte son rang intermédiaire entre les hommes et le Créateur, il abandonne ce qui lui restait d’humanité, mais par là aussi il englobe tant le bien que le mal en lui-même. J’insiste: il existait déjà des clivages prononcés entre sujet et roi, mais maintenant ils subissent un changement. D’une part, ils deviennent encore plus prononcés: Christ ne rentre plus dans le schéma. Il n’y a plus de sens à avoir un médiateur entre les hommes et Dieu; ce n’est pas par hasard si Jacques Ier cite plutôt l’Ancien que le Nouveau Testament. Son roi, si dans un premier moment il est dit vicaire et représentant de Dieu (ce qui le laisserait plus proche de la conception chrétienne, bien que celle-ci ne montre pas Christ – à de rares exceptions près, dont Hobbes – comme représentant de Dieu le père), par la suite refuse implicitement cette condition: par Dieu même, ajoute-t-il, les rois sont appelés des dieux. Les rois ne sont pas des vicaires de Dieu, comme le pape; ils sont vraiment des dieux. Ou bien, si nous désirons être un peu plus timides, ils sont nommés dieux, mais cela par Dieu même, l’auteur du seul langage parfait, de celui qui dit les choses mêmes, sans manque ni reste.

D’ autre part, néanmoins, ces partages perdent peut-être une part de leur netteté. Dans le Haut Moyen Age, un découpage fondamental opposait le bien au mal, séparant Dieu et la damnation éternelle, le roi et le tyran. Maintenant, on écarte tout ce qui limitait l’exercice du pouvoir par le roi, au nom d’une autorité morale et religieuse, la seule à même de légitimer ou de condamner la politique et le gouvernement. Pour que le pouvoir s’émancipe de l’autorité religieuse, pour qu’il devienne souverain, il faut mélanger bien et mal, nier à l’homme – c’est-à-dire, au sujet – de la compétence, au sens technique aussi bien que juridique, pour connaître, également dans les sens technique et juridique, ce qui dans l’action du prince est juste ou injuste, bon ou méchant. Enfin, les deux mouvements s’impliquent réciproquement. Il a été nécessaire de séparer les hommes du nouveau dieu, en coupant les ponts qui auparavant établissaient des médiations successives, des passages moins abrupts qui s’échelonnaient de l’humain au divin, en passant par le roi, les anges et d’autres créatures; il a fallu également réduire la juridiction humaine sur le bien et le mal; et le pouvoir des rois en a été augmenté ad infinitum, sans connaître plus de limites, dans le manque de distinction entre le bien et le mal, dans une espèce de par-delà le bien et le mal – si bien que, dans la mesure ou le roi s’éleve jusqu’à l’au-delà, sa volonté sera aussi inconnue de nous (the mysteries of kingship), aussi absconse, que les desseins de Dieu.

Cette indistinction du bien et du mal est ce qui assure à la royauté, imitée de Dieu, son côté occulte, secret, bref, tout ce qui en elle excède la compréhension des créatures communes: c’est elle qui institue la royauté en tant que mystère. Nous ignorons en quoi consiste l’acte de gouverner, voici le mot clé; les mystères nous échappent. Cela ne signifie pas qu’ils se dérobent à nous temporairement, comme un inconnu encore ignoré, mais plutôt qu’ils sont interdits à notre connaissance par principe. Prenons le cas, controversé, de la guérison des écrouelles par l’imposition des mains du roi, coutume pratiquée en France et en Angleterre pendant le Haut Moyen Age jusqu’à ce que, dans les deux pays, le pouvoir royal se soit vu limité de façon moderne par l’État de droit, par les droits de l’homme, par une souveraineté populaire, encore que seulement ébauchée. Peu importe si le pouvoir attribué au roi de guérir cette affection de la peau en touchant le malade venait d’un secret transmis à lui par son prédécesseur ou, ce qui est plus probable, si on le considérait comme quelque chose d’inhérent à la condition royale, comme une conséquence des rituels du sacre: le fait est que la guérison du King’evil ébauche un espace ou le mystère s’empare du monde physique, ou la royauté résout des maux de ce monde[11]. La différence entre le miracle royal et la doctrine des mysteries of kingship est que celle-ci donnera une extension bien plus grande, dans l’exercice légitime du pouvoir, à ce qui relève du mystère. Dans la guérison des écrouelles, nous avons simplement affaire à la restauration de la santé, c’est-à-dire à la restitution d’un bien notoire à la place d’un mal évident; tout est net, discernable. Mais dans les mystères de la royauté nous nous trouvons devant une scène où nous ne pouvons plus savoir, nous humains, exactement ce qu’est le bien, ce qu’est le mal. Notre incapacité de connaître et de juger le bien et le mal en matière d’État coïncide avec l’attribution à Dieu du monopole sur la connaissance du bien et du mal que pratiquent les rois.

J’ai déjà émis ailleurs l’idée que le rang de chaque institution, dans une société ou le pouvoir légitime se prévaut du mystère, serait lié à l’importance respective des secrets qu’il faut protéger[12]. Plus un agent a des secrets, plus il a du pouvoir – c’est-à-dire, plus il agit ou peut agir. C’est évident dans le choix que fait Sir John Eliot de mourir dans la Tour de Londres (en 1632) plutôt que de demander pardon au roi pour s’être opposé à sa politique dans le Parlement précédent[13], mais aussi dans la discussion, vers 1641, sur ce qui est le privilège du Parlement. Car, s’il existe d’une part la praerogativa regis, ce domaine de décision indéterminé et par là même assez étendu grâce auquel le roi peut suspendre le cours ordinaire des lois et des institutions pour agir de manière extraordinaire et absolue, il y a d’autre part le privilège des députés aux Communes et des Lords de parler à leur façon, comme cela convient à un Parlement – un privilège qui dérive d’ailleurs du rôle de l’assemblée en tant qu’organe qui donne d’abord le conseil et ensuite l’aide. Le consilium est prodigue en mots, avant de l’être en auxilium, c’est-à-dire en impôt: la parole précede la monnaie. Les conseillers – et ceci semble avoir été le sens initial du Parlement, avant même de passer, peu à peu, de chambre consultative à chambre délibérative – ont le droit de parler sans châtiment et sans grandes limitations. Une liberté de parole est essentielle. Mais cette parole ne signifie pas que les parlementaires ont le droit de voir leurs discours publiés. Comme conseillers, ils ne peuvent pas être punis pour ce qu’ils disent au roi ou pour ce qu’ils discutent entre eux, mais leurs débats ne sont pas publics, et il serait interdit de les diffuser à travers le royaume.

Les députés sont donc des représentants du royaume, mais pour parler au roi et non pas pour rendre des comptes à ceux qu’ils représentent. L’idée de rendre leurs voix à ceux qui les ont nommés leur représentant n’a pas de sens alors. Le privilège de parole des parlementaires signifie que, si le roi ne peut pas les punir pour ce qu’ils disent dans les deux Maisons du Parlement, et surtout dans les Communes, où le monarque n’assiste pas aux délibérations (il a le droit d’entendre ses pairs, les Lords)[14] et s’il est illégitime de raconter au roi ce que l’un ou l’autre des députés a dit de lui ou du royaume, il est également inadmissible de divulguer au peuple les propos des députés aux Communes. Voilà ce qui indignera Edward Hyde, le futur comte de Clarendon qui, au début du Long Parlement s’assoit aux côtés de l’opposition avant que celle-ci ne se radicalise: il brise avec l’ opposition lorsque celle-ci se propose – avec succès – d’ exclure les évêques de l’Église anglicane et sa révolte éclate lorsque la majorité publie les noms de la minorité qui a voté contre cette réforme. Il ressort de ses mémoires, publiées longtemps après l’événement, que dénoncer les députés au roi ou au royaume, au monarque ou aux plébéiens (commoners) que représentent les Communes, est également inacceptable. Les secrets font partie de l’institution. Elle est rigoureusement corporative: elle fonctionne interna corporis. L’idée de rendre des comptes à ses commettants est aussi mal venue que celle de se prosterner devant le roi.

Mais le plus grand de tous les secrets est celui des rois. Si les juges, admet Jacques Ier, sont ceux qui connaissent le mieux le “mystère”en quoi consiste la common law, ce même roi déclare que sa prérogative, qui est un “mystère d’État”, se situe au-dessus des secrets uniquement judiciaires. Discuter ce que Dieu peut relèvera de l’athéísme et du blasphème, de même que c’est “beaucoup de présomption et effronterie” de la part d’un sujet de débattre des pouvoirs d’un roi, fût-ce pour les défendre, comme prétendit le faire le pauvre Dr Cowell. Ce sont les arcana imperii, que le procureur général de Charles Ier comparera aux arcana Dei. Ce n’est pas un hasard si l’ on dit que la distinction entre le pouvoir ordinaire du roi et son pouvoir extraordinaire (ou absolu, c’est-à-dire solutus, détaché des lois, indépendant de la légalité ordinaire) reflète la distinction entre deux pouvoirs de Dieu. Le Très-Haut possède un pouvoir ordinaire, qui est celui du cours ordinaire des choses, et un autre pouvoir, supérieur à celui-ci, qui est celui d’intervenir dans le monde exceptionnellement, en suspendant la routine que Lui-même a instituée: le pouvoir royal d’exception est le pouvoir divin de faire des miracles. Et si Dieu pratique les miracles, les rois le peuvent aussi, soutiendront quelques champions du droit divin des rois. L’excès par rapport à la loi fait partie de ce roi miraculeux. Nous parlions il y a quelques pages du “miracle royal”, ce nom qu’on donnait au pouvoir qu’avaient les rois français et, par dérivation, les rois anglais qui, jusqu’au début du XIXe siècle, se diront encore rois de France, de guérir une affection de la peau par l’imposition des mains; tout miracle suspend le cours ordinaire des choses; le grand et vrai miracle est celui du roi lorsqu’il agit extraordinairement, afin de sauver le royaume, le salus publicus devant être la loi suprême de tout Etat.

Ou Hobbes se situe-t-il face à cette politique du secret et du miracle? Examinons deux de ses thèses qui montrent à satiété que c’est précisément sur ce point que le partisan du pouvoir absolu des rois coupe tous les ponts avec ces rois mêmes dont il défend les pouvoirs ou, du moins, dont la cause touche son cœur. Cette rupture découle des thèses sur la curiosité et le miracle.

Le miraclee est, au XVIIe siècle et surtout parmi les protestants, en recul. Le monde, n’importe qui ayant lu Weber le sait, vit alors un processus de laïcisation ou de désenchantement. Il est fréquent que les protestants disent que les miracles ont cessé, bien qu’ils ne se mettent pas d’ accord sur la date ou ils se seraient terminés (pour la plupart, depuis la Réforme, mais quelques-uns soutiennent que Dieu les avait arrêtés bien avant). Hobbes est très clair à ce sujet. Dans le chapitre XXXVII du Léviathan, auquel il donne le titre “Des miracles et leur emploi”, il réduit les proportions du miracle. Dans le chapitre précédent, “De la parole de Dieu et des prophêtes”, il avait défini celui qui prophétise comme étant “celui qui parle de Dieu à l’homme ou de l’homme à Dieu”, ensuite “celui qui prédit les choses futures”, et finalement “[d’autres fois] celui qui parle de façon incohérente, comme les hommes qui sont distraits”[15]. L’humour, chez un philosophe qui n’en abuse pas, mais qui n’en est pas non plus privé, est évident. Nous avons là une énumération rapide des acceptions du prophétisme, des plus nobles, là ou le prophète est porte-parole de Dieu, à celle ou l’acception péjorative, voire sarcastique, est évidente; ce dernier sens entache les précédems d’un soupçon visant à troubler le lecteur: commem distinguer si la parole prophétique nous apporte le sacré ou si elle n’est qu’un galimatias? Comment séparer le prophète du fou? La réponse est que le vrai prophète se distingue par deux règles fondamentales, “la conformité doctrinaire avec ce que Moïse, le prophète souverain, avait enseigné”, et “le pouvoir miraculeux [c’est moi qui souligne] de prédire ce que Dieu allait faire arriver”[16]. En résumé, le prophète ne peut prêcher aucune nouveauté doctrinaire; n’est prophète légitime que celui qui n’ajoute ni ne retire rien à ce qui a déjà été dit par Dieu aux hommes; et le miracle, facteur supplémemaire qui avalise ses dires, n’est donc aucunement accrédité à valider de nouvelles doctrines. Le miracle est, rigoureusement parlant, stérile. Et tout le chapitre suivant, en traitant de l'”emploi”des mirades, met en évidence que ceux-ci visent plutôt à conquérir la foi des spectateurs qu’à leur apporter une connaissance nouvelle quelconque. Enfin, le miracle fait partie de ce que nous pourrions appeler la rhétorique du divin, et il est complêtement infécond pour la constitution d’une connaissance du divin par la révélation. Cette stérilisation du miracle va de paire, chez Hobbes, avec la doctrine de la prédétermination de tout ce qui arrivera. Voilà une théorie trop délicate pour être répandue, emend Hobbes, et c’est pourquoi elle n’est qu’insinuée dans ses grandes ceuvres, comme Le Léviathan; là ou l’auteur la développe le plus, c’est dans la polémique avec l’ évêque Bramhall, que Hobbes désirait maintenir secrète pour pouvoir discuter de questions dont la connaissance pourrait s’avérer dangereuse pour le peuple, comme la liberté, la nécessité et le hasard. La thèse de la prédétermination ne se confond pas avec celle de la prédestination, qui est une doctrine religieuse, surtout calviniste, selon laquelle, de toute éternité, le Créateur a décidé qui sera sauvé et qui condamné. D’aprês cette théorie – qui se prétend scientifique et pas strictement théologique – de la prédétermination, Dieu, en créant le monde, a déjà déterminé tout ce qui va arriver pendant toute l’éternité – non pas seulement le destin des âmes, mais le fonctionnement de toutes choses. Et cela ne découle pas seulement de la toutepuissance et de l’omniscience de Dieu qui, depuis toujours, peut tout et sait tout, mais surtout d’une compréhension mécaniste de la causalité. Rien ne s’effectue sans être causé par quelque chose qui le précède. La cause est antérieure à l’effet et celui-ci est complètement produit par les causes antérieures. II en découle que, si on a la connaissance de toutes les causes (une science qu’aucun homme ne peut avoir, mais que Dieu possède), on peut connaître tous les effets. Il n’y a rien, en cela, de mystique ni de mystérieux. Ceci n’est que le rève du scientifique à l’époque du mécanisme ou d’une doctrine mécanique de la causalité. Dieu sera Celui qui connaît toutes les causes; que tout soit prévu n’est que le résultat de la science divine, dans le sens de la connaissance que Dieu a de Son œuvre. II devient donc, de Créateur dans l’acception mystique, la première des causes dans le sens scientifique – une cause efficace qui aurait en outre le rôle de cause première. Cela fait que le miracle devienne inutile, voire absurde. L’accepter impliquerait que Dieu, à un certain moment de l’histoire, intervienne afin de modifier le cours des événements que Lui-même a défini au début des temps: le miracle serait le signe qu’il n’a pu tout prévoir; au lieu de désigner son pouvoir extrême, voire excessif, il soulignerait son imprévoyance, une cécité ou du moins une myopie qui limiterait Son pouvoir. Voilà pourquoi la portion qui revient au miracle, dans la théorie de Hobbes, est si congrue.

Enfin, la théorie de la curiosité. La “curiositie” était blâmée parle roi, de même que par les autres tenants du droit divin. Le roi, ordonnant de saisir l’œuvre de John Cowell, se plaignait dans sa proclamation que les hommes montrent une curiosité insatiable, qui les amène à essayer de pénétrer “jusqu’aux mystères les plus profonds, qui appartiennent aux personnes et à l’état des rois et princes, qui sont Dieu sur la Terre”. De maniere générale, les premiers rois Stuart ne se privent pas de blâmer ceux qui essayent de s’immiscer dans ce qui ne les concerne pas: ils les avertissent, les punissent, ils alertent les autres sujets, afin qu’ils n’imitent pas leur exemple. Charles Ier dira en 1649, en montant à l’échafaud, qu’il avait toujours voulu le bien de son peuple, mais que le bien des sujets ne consiste pas à leur donner une part dans le gouvernement: roi et peuple, souligne-t-il, sont des choses bien distinctes. Et sous le regne des deux premiers Stuart, le tribunal majeur d’exception, la Star Chamber, a constamment averti les sujets qui se mêlaient de traiter la chose publique à take heed, à prendre garde ou faire attention, car ils pourraient être détruits.

Or, il est intéressant qu’un sympathisant de la Couronne comme notre philosophe ne partage point cette aversion des tenants d’un pouvoir absolu de droit divin (le droit divin marquant la différence entre Hobbes et les rois) envers la curiosité des hommes ordinaires. Hobbes, en tant que savant, donne le beau rôle à la curiosité. Dans une lettre de 1646 adressée au marquis de Newcastle[17], il dit que les hommes et les animaux ont les mêmes passions. II y a seulement une passion inconnue aux animaux, celle de la curiosité, qui nous fait poser la question des causes (cur? pourquoi ?); plus encore: si cette passion se montre grande chez un homme, se réduit en lui dans la même proportion la part qui revient à l’avidité, qui constitue l’essence de la bestialité. Ainsi ce qui distingue l’homme de l’animal est, plutôt que la raison, ou du moins avant elle, une passion proprement humaine ou, pour employer un langage anthropologique de notre temps, humanisante. En vérité, la raison, la science et tout ce qui s’ensuit ne seront possibles qu’à partir de la passion qui leur ouvrira la place. Hobbes définit l’homme comme un être de passion, plutôt que par le rôle que jouerait en lui une raison souveraine. Une passion le distingue ainsi de tout ce qui est bestial. Il n’est donc pas étonnant qu’il nie le découpage radical que Jacques ler et les champions du droit divin établissaient entre les hommes, en mettant d’une part le roi avec sa connaissance révélée ou consacrée sur les “mystères” du pouvoir et de l’autre les sujets, à qui toute la connaissance de ce type était interdite. Si Hobbes n’écrit pas de livres pour les princes, mais pour les sujets (Machiavel a écrit Le Prince et lui Du citoyen), c’est parce qu’il attend de ceux-ci qu’ils atteignent la science. Une science qui leur enseignera à obéir, sans doute, mais qui ne cessera tout de même pas d’être une science et qui déduit l’obéissance de leurs propres intérêts. Pour grande que soit cette obéissance, elle ne sera plus un commandement inconditionnel et par là deviendra inacceptable aux yeux d’une doctrine religieuse du pouvoir, comme celle du droit divin des rois.

Qu’en concluons-nous en ce qui concerne la raison? La doctrine du secret et du mystère autour du gouvernement que nous indiquons chez le premier grand théoricien de la royauté de droit divin, Jacques Ier, n’est pas une théorie sur la raison. Bien qu’elle fasse appel à la théorie de la raison d’État, qui ne s’en éloigne pas trop dans le temps, il ne s’agit pas d’une raison attribuée au gouvernant par opposition au manque de rationalisation des sujets. Si ceux-ci, dans l’une et l’autre doctrines, sont présentés comme étant privés de connaissances, la nature de ce savoir qui leur manque est très daire. Dans l’idée du secret et du mystère, le savoir est d’ordre mystique, éventuellement révélé, súrement découlant du sacre ou de l’hérédité, qui sont des formes par lesquelles la voix de Dieu arrive à ceux qu’Il a chargés de nous gouverner.

Or, si les mystères de la royauté ne peuvent – par définition – être considérés comme une doctrine rationnelle, c’est bien contre eux que Hobbes propose son apologie de la curiosité et de la science politique. lci, oui, la raison est en jeu et fonde par là même la politique nouvelle sur l’intérêt majeur du sujet (qui est d’avoir la vie sauve) et sur son contrat (la volonté de ceux d’en bas donnant ainsi une base au pouvoir d’en haut). Peu importe que ce pouvoir soit, de préférence, celui des rois : ce qui dérange profondémem les monarchistes du XVIIe siècle, c’est qu’ils n’accordent pas de valeur à une défense du pouvoir absolu des rois si elle a pour fondement la raison, l’intérêt, le contrat. L’opposition entre Hobbes et les défenseurs du droit divin n’est pas mince. Et pourtant, pour conclure, Hobbes n’est pas exactement un rationaliste. Outre son insistance sur le caractère conventionnel du langage et de la raison, sur leur caractère d’artifices, il suffit de rappeler que l’homme ne se distingue de I’animal ni pour être un zoon politikon (ce que, de toute évidence, Hobbes n’admet pas) ni pour être un animal rationnel. C’est comme si, en demandant à Hobbes ce qui donne à l’homme le désir de connaître, il ne s’attachait pas tant à la connaissance qu’au désir. La tradition de I’animal rationnel met I’emphase sur le verbe connaître, et comprend que la pulsion y est déjà en entier. Hobbes donne une plus grande importance au verbe désirer. II en ressort que la connaissance, la raison, la science, pour que l’on comprenne de quelle vie elles vivent, exigent que nous sachions quelles passions les mettent en marche. Le désir de savoir, voilà la voie par où notre philosophe démonte les mystères et les secrets de la royauté.

Traduit par Danielle Ortiz Blanchard

* Cet article reprend quelques points que j’ai déjà travaillés dans Ao leitor sem medo Hobbes escrevendo contra o seu tempo (São Paulo, Brasiliense, 1984), en leur donnant une nouvelle perspective. Pour l’examen détaillé du thème chez les auteurs de l’époque, avec des citations, une analyse de texte et une bibliographie, je renvoie en particulier aux chapitres V, “O triunfo da vontade”, surtout pp. 133-146, et I, “O gêmeo do medo”, surtout pp. 34-41.

De toute façon, j’ai cherché à éviter ici de répéter simplement ce qui a été dit dans cette œuvre, de manière à ce que les traitements dans les deux textes soient distincts et complémentaires.

Notes

  1. “Coke and the rise of economic liberalism”, Economic History Review, 6 (1), 1935, pp. 30-44.
  2. Dans son As origens intelectuais da Revolução Inglesa, Martins Fontes, São Paulo, 1992.
  3. Voir l’édition en dix-sept volumes de la Methuen, 1970-1972.
  4. The King’s two bodies: a study in medieval political thought, Princeton, 1957.
  5. Galilée, Paris, 1995.
  6. Non pas, bien entendu, dans le sens qu’elle fosse le mal, mais dans celui qu’elle perturbe, nuit, agresse: qu’ elle fait mal
  7. J’insiste que l’anachronisme, qui existe, est dans l’emphase et non pas dans le contenu. Ce que nous effectuons aujourd’hui comme lecture ne s’éloigne pas du texte. Mais l’historicité changeante de celui-ci doit beaucoup aux emphases qui changent avec les époques.
  8. Voir le chapitre V, “O triunfo da vontade”, in Ao leitor sem medo.
  9. Le Prince, chapitre XV.
  10. Avant d’être dieu, le roi a été Christ: Ao leitor sem medo, p. 138.
  11. Le livre de référence est, évidemment, Les Roís thaumaturges de Marc Bloch.
  12. Ao leitor sem medo Hobbes escrevendo contra o seu tempo, 1e e édition 1984, 3e édition 2004, Editora da Universidade Federal de Minas Gerais.
  13. Voir Ao leitor sem medo, p. 136.
  14. C’est pourquoi le président des Communes, de même qu’aujourd’hui ses homologues des lower Houses dans tout le monde anglo-saxon, s’appelle le speaker, en latin prolocutor: c’est lui qui disait au rni ce que ses collegues avaient conseillé et décidé. Mais à cette époque-là il aurait lui-même violé le privilege des Communes s’il avait dit au roi le nom de ceux qui auraient critiqué sa politique.
  15. Dans l’excellente traduction de João Paulo Monteiro et Maria Beatriz Nizza da Silva, Abril Cultural, São Paulo, 1973, p. 254; dans l’édition Penguin du Leviathan, p. 456.
  16. Leviatã, p. 261; Leviathan, pp. 467-468.
  17. English works, VII, p. 467, commentée dans Ao leitor sem medo, pp. 34-35.